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dimanche 6 mars 2016

Le lait et la complexité


Ce voyage est parfois l'occasion d'étranges collisions entre des réalités qui, en s'opposant, nous ouvrent les yeux sur des aspects de notre vie que nous croyons "normaux" et "naturels". J'ai eu récemment ce genre de choc en Nouvelle-Zélande et cela a déclenché un début de réflexion sur la complexité. Ou plutôt sur l'immensité de la tâche qui attend ceux qui voudraient "simplifier" notre monde... 


Impossible d’échapper au verre de thé en Inde. Il fait l’objet d’un rituel quasi immuable à des heures bien définies bien que je ne saurais dire si ce sont les anglais ou les indiens qui en sont à l’origine. Il y a bien sûr quelques variations notamment dans la saveur du breuvage, en particulier dans la quantité de gingembre qui y est ajoutée. Partout, on nous l’a servi avec du lait et souvent très sucré. Chaque petit-déjeuner, chaque fois que nous étions invités dans une maison, nous avions droit au chaï. Cela était devenu tellement prévisible que j’en aurai presqu’oublié que dans les fermes Lepchas où nous sommes passés, le lait était … celui de la vache. Oui, oui ! Vous m’avez bien compris, nous avons bu le lait de LA vache et non pas du lait DE vache. C’est-à-dire du lait sortant du pis (parfois d’ailleurs trait sous nos yeux quelques instants auparavant au grand bonheur des enfants) et non pas du lait en bouteille, en boite ou en carton. Du thé, du sucre, du gingembre frais (chaque famille en produit dans son jardin), de l’eau chaude et du lait de LA vache. Dans tout cela, ce qui était le plus simple à se procurer ? Le lait. Tout le reste, y compris l’eau demandait un peu plus d’effort.

En Nouvelle-Zélande, ce sont les vaches qui sont partout. Vous croyez sans doute que la Nouvelle-Zélande est la terre des moutons, ces merinos si richement dotés en laine douce qu’ils en sont devenus emblématiques du pays, précisément de sa richesse et de sa douceur. Cela était vrai jusqu’à ce que l’énorme marché chinois ne devienne une gigantesque opportunité d’enrichissement pour les fermiers kiwis qui se sont empressés de renvoyer leurs ovins à leurs pâturages d’altitude et ont commencé à industrialiser l’élevage des bovins. Et quand je dis industrialiser… Cela commence par les prairies qui sont devenues de grandes surfaces clôturées arrosées quasiment en continu (y compris quand il pleut…) par de gigantesques systèmes d’aspersions mobiles qui étendent leurs tentacules mécaniques sur plusieurs centaines de mètres. Pour optimiser leur production laitière, on promène ainsi des troupeaux de bovins tous identiques (il y a manifestement eu des sélections génétiques) de prairies en prairies d’un vert à faire pâlir de jalousie un exploitant de golf haut de gamme. On ne peut qu’imaginer la suite de la chaîne de valeur si tout le reste est à l’image de ce début du processus de production. Surtout, on prend le tournis à recenser l’ensemble des personnes, des fonctions, des expertises qu’il faut mobiliser pour que le lait arrive jusqu’au consommateur. Je n’ose même pas commencer la liste ici, elle serait bien trop rébarbative.

Chez les Lepchas, il n’y avait finalement entre nous et le verre de lait que la personne qui allait traire la vache et nous servait notre chaï avec le sourire de l’hôte qui a su contenter son invité. En Nouvelle Zélande, comme dans tous les pays développés, il y a plus de 100 fonctions au bas mot qui travaillent pour que je puisse acheter mon litre de lait dans le rayon frais d’un super marché quelconque, un lait que je me servirai tout seul et dont je jetterai sans doute une partie parce qu’elle aura tourné avant que je n’ai eu le temps de la consommer.



Lorsque l’on pense à cette débauche d’énergie, de technologies, de savoir-faire et d’expertises, de mesures et de calculs, de flux entrants et sortants des unités automatisées de traite, des laboratoires de contrôle, des centres de conditionnements, des entrepôts au climat contrôlé au degré près, des semi-remorques réfrigérées, des magasins de gros et de détail, il est vrai que LA vache des Lepschas dans son petit enclos en bambou parait bien rustique et peu moderne. Un peu trop simple ? Ne serait-ce pas notre monde qui a complexifié les choses au-delà du raisonnable ? La traduction anglaise de la sobriété heureuse est «voluntary simplicity », mot à mot « la simplicité volontaire ». Quand je réfléchis à mon verre de lait, je me dis que la route est encore longue…

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