Impossible d’échapper au verre de thé en Inde.
Il fait l’objet d’un rituel quasi immuable à des heures bien définies bien que je ne saurais dire si ce sont
les anglais ou les indiens qui en sont à l’origine. Il y a bien sûr
quelques variations notamment dans la saveur du breuvage, en particulier dans
la quantité de gingembre qui y est ajoutée. Partout, on nous l’a servi avec du
lait et souvent très sucré. Chaque petit-déjeuner, chaque fois que nous étions
invités dans une maison, nous avions droit au chaï. Cela était devenu tellement
prévisible que j’en aurai presqu’oublié que dans les fermes Lepchas où nous
sommes passés, le lait était … celui de la vache. Oui, oui ! Vous m’avez
bien compris, nous avons bu le lait de LA vache et non pas du lait DE vache.
C’est-à-dire du lait sortant du pis (parfois d’ailleurs trait sous nos yeux
quelques instants auparavant au grand bonheur des enfants) et non pas du lait
en bouteille, en boite ou en carton. Du thé, du sucre, du gingembre frais
(chaque famille en produit dans son jardin), de l’eau chaude et du lait de LA
vache. Dans tout cela, ce qui était le plus simple à se procurer ? Le
lait. Tout le reste, y compris l’eau demandait un peu plus d’effort.
En Nouvelle-Zélande, ce sont les vaches qui
sont partout. Vous croyez sans doute que la Nouvelle-Zélande est la terre des
moutons, ces merinos si richement dotés en laine douce qu’ils en sont devenus
emblématiques du pays, précisément de sa richesse et de sa douceur. Cela était
vrai jusqu’à ce que l’énorme marché chinois ne devienne une gigantesque
opportunité d’enrichissement pour les fermiers kiwis qui se sont empressés de
renvoyer leurs ovins à leurs pâturages d’altitude et ont commencé à
industrialiser l’élevage des bovins. Et quand je dis industrialiser… Cela
commence par les prairies qui sont devenues de grandes surfaces clôturées
arrosées quasiment en continu (y compris quand il pleut…) par de gigantesques
systèmes d’aspersions mobiles qui étendent leurs tentacules mécaniques sur
plusieurs centaines de mètres. Pour optimiser leur production laitière, on
promène ainsi des troupeaux de bovins tous identiques (il y a manifestement eu
des sélections génétiques) de prairies en prairies d’un vert à faire pâlir de
jalousie un exploitant de golf haut de gamme. On ne peut qu’imaginer la suite
de la chaîne de valeur si tout le reste est à l’image de ce début du processus
de production. Surtout, on prend le tournis à recenser l’ensemble des
personnes, des fonctions, des expertises qu’il faut mobiliser pour que le lait
arrive jusqu’au consommateur. Je n’ose même pas commencer la liste ici, elle
serait bien trop rébarbative.
Chez les Lepchas, il n’y avait finalement
entre nous et le verre de lait que la personne qui allait traire la vache et
nous servait notre chaï avec le sourire de l’hôte qui a su contenter son invité.
En Nouvelle Zélande, comme dans tous les pays développés, il y a plus de 100
fonctions au bas mot qui travaillent pour que je puisse acheter mon litre de
lait dans le rayon frais d’un super marché quelconque, un lait que je me
servirai tout seul et dont je jetterai sans doute une partie parce qu’elle aura
tourné avant que je n’ai eu le temps de la consommer.
Lorsque l’on pense à cette débauche d’énergie,
de technologies, de savoir-faire et d’expertises, de mesures et de calculs, de
flux entrants et sortants des unités automatisées de traite, des laboratoires
de contrôle, des centres de conditionnements, des entrepôts au climat contrôlé
au degré près, des semi-remorques réfrigérées, des magasins de gros et de détail,
il est vrai que LA vache des Lepschas dans son petit enclos en bambou parait
bien rustique et peu moderne. Un peu trop simple ? Ne serait-ce pas notre
monde qui a complexifié les choses au-delà du raisonnable ? La traduction
anglaise de la sobriété heureuse est «voluntary simplicity », mot à mot « la
simplicité volontaire ». Quand je réfléchis à mon verre de lait, je me dis
que la route est encore longue…
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